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L'Acte général de Berlin 1885 : Une empreinte coloniale sur le droit international moderne et ses héritages contemporains Lien permanent vers ce document

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Cette recherche s'est articulée en trois parties distinctes, chacune apportant des éléments cruciaux à la compréhension de l'empreinte coloniale de l'Acte de Berlin sur le droit international. La première partie de cette étude de d’analyser la genèse et le contenu de l'Acte général de Berlin, le révélant comme un instrument juridique fondamental pour l'ordre colonial internationalisé. L'Acte a émergé directement des rivalités impériales et d'un consensus colonial. La "course à l'Afrique" au XIXe siècle, alimentée par la demande industrielle en matières premières et la quête de prestige national, a exacerbé les tensions entre puissances européennes, en particulier autour du bassin du Congo. Face à ce risque de conflit direct, la Conférence de Berlin a été convoquée par le chancelier Bismarck avec l'objectif affiché de réguler la compétition et d'établir des règles communes encadrant la conquête. Cette approche révèle que la préoccupation première était la stabilité européenne, et non le bien-être des populations africaines. Les règles du jeu étaient conçues pour les acteurs européens, ce qui signifie que l'Acte visait à gérer et à institutionnaliser l'expansion impériale sous le couvert d'un ordre international, plutôt qu'à la limiter. Le droit international positiviste du XIXe siècle a été instrumentalisé pour servir les ambitions coloniales. En ne reconnaissant comme sujets de droit que les États dits "civilisés », ceux dotés d'une administration centralisée et d'un système légal écrit conforme aux critères européens. Une interprétation eurocentrée a délibérément exclu les entités politiques africaines de la subjectivité juridique internationale. Cette exclusion, loin d'être une simple conséquence, était une condition préalable à la légitimité juridique de l'expansion coloniale. En niant la souveraineté africaine, le droit international a créé un vide juridique qui a justifié l'unilatéralisme européen et l'appropriation des territoires, transformant le continent en une terra nullius conceptuelle. Les traités signés avec les chefs locaux, souvent inégaux et mal compris par les parties africaines, ont servi de base juridique pour les revendications européennes. Un acteur singulier avec de vastes prétentions territoriales émergera. L'émergence et la reconnaissance internationale de l'Association internationale du Congo (AIC) constituent un cas singulier. Cette entité privée, sous l'égide de Léopold II, a réussi, grâce à une diplomatie astucieuse et à des accords bilatéraux, à obtenir une reconnaissance internationale en tant qu’acteur non Etatique. Cette situation démontre la capacité du droit international de l'époque à s'adapter, voire à se distordre, pour accommoder des constructions juridiques sui generis lorsque celles-ci servaient les intérêts collectifs des grandes puissances. AIC, puis EIC agira comme un État tampon. La reconnaissance de l'AIC, malgré son statut atypique, a ainsi créé un précédent quant à la reconnaissance d'acteurs non étatiques au service des objectifs coloniaux commun. Les principes clés codifiés par l'Acte, tels que la liberté de commerce, la liberté de navigation et l'occupation effective, bien que présentés comme universels, étaient intrinsèquement biaisés. Dans la pratique, ces dispositions ont principalement bénéficié aux puissances industrielles et maritimes européennes, masquant une asymétrie structurelle. Les "clauses humanitaires", notamment celles relatives à la lutte contre la traite des esclaves, ont servi davantage de vernis moral ou d'alibi pour légitimer l'intervention coloniale et dissimuler les motivations économiques et géopolitiques sous-jacentes. Cette dualité entre le principe universel affiché et intérêts réel a permis de distordre le droit international moderne pour faire dire la volonté des puissances coloniales. La deuxième partie de l’analyse a examiné l'application concrète de l'Acte de Berlin dans le bassin du Congo, révélant la tension persistante entre l'ordre juridique proclamé et les réalités de la compétition impériale. La Commission internationale de navigation du Congo (CINC), conçue comme un organisme supranational garantissant la liberté de navigation, a largement échoué à devenir pleinement opérationnelle en raison de l'obstruction systématique de l'État indépendant du Congo (EIC). Léopold II percevait la CINC comme une ingérence dans la souveraineté de son État personnel, il donc activement sapé son autorité en imposant des réglementations unilatérales. L'absence d'une application effective par les autres puissances, plus préoccupées par l'équilibre géopolitique que par le strict respect des règles multilatérales, a contribué à la paralysie de la CINC. Cet échec souligne une limitation critique des premiers instruments juridiques multilatéraux. Leur vulnérabilité face à la poursuite unilatérale d'intérêts nationaux ou impériaux, où le contrôle de facto prime souvent sur les obligations de jure. Les accords bilatéraux ont souvent supplanté les principes multilatéraux. La Convention franco-congolaise du 5 février 1885, signée juste avant la clôture de la Conférence de Berlin, a joué un rôle plus décisif dans la délimitation territoriale qui opposait la France et EIC. Cet accord a délimité stratégiquement les frontières et a accordé à la France un droit de préemption crucial sur les territoires de l'AIC, sécurisant ainsi les intérêts français et limitant l'expansion belge. La prévalence et l'importance stratégique de ces accords bilatéraux sur les cadres multilatéraux illustrent une tendance où les puissances impériales utilisaient des négociations directes pour obtenir des avantages spécifiques et gérer leurs rivalités, contournant l'esprit d'une coopération internationale plus large lorsque celle-ci ne correspondait pas à leurs intérêts immédiats. L'analyse des différends territoriaux, tels que les affaires du Loango et de l'Oubangui, a montré que les mécanismes de règlement pacifique des différends prévus à l'article 12 de l'Acte de Berlin ont été largement ignorés. Les conflits ont été résolus par des négociations diplomatiques directes, souvent influencées par le rapport de forces et les réalités du terrain, plutôt que par l'arbitrage ou la médiation formelle. Ces études de cas révèlent une contradiction fondamentale. L'échec des mécanismes formels de résolution des différends met en évidence les limites intrinsèques du droit international face à une ambition impériale débridée. La troisième partie de l’analyse a exploré les héritages profonds et durables de l'ordre colonial berlinois sur le droit international contemporain, démontrant que la fin de la colonisation formelle n'a pas effacé son empreinte structurelle. La "mission civilisatrice", idéologie centrale de la colonisation, a connu une faillite retentissante, conduisant à l'émergence de la responsabilité internationale. Enracinée dans une vision paternaliste et euro-centrique de la "civilisation", cette mission a servi de justification aux abus. Les atrocités commises dans l'État Indépendant du Congo (EIC), notamment l'exploitation brutale du caoutchouc et de l'ivoire, ont exposé la faillite catastrophique de cette rhétorique humanitaire. Le tollé international et la Commission d'enquête sur l'EIC de 1904-1905, agissant comme un précurseur des commissions d’enquête de droit international, ont joué un rôle. Malgré les tentatives de Léopold II de contrôler le récit, l'enquête rigoureuse de la commission a révélé des abus systémiques, jetant les bases du concept de responsabilité internationale des États pour les violations des droits de l'homme et remettant en question le principe absolu de non-ingérence. Le scandale de l'EIC a marqué un tournant critique où la mission civilisatrice est passée d'une justification de la domination pour un développement embryonnaire de la protection des droits de l'homme en droit international. La "mission civilisatrice" a connu une mutation et a influencé la gouvernance internationale. La reprise de l'EIC par l'État belge en 1908, inscrite dans sa Charte coloniale, n'a pas abandonné la "mission civilisatrice" mais l'a transformée en une obligation légale et administrative au sein du droit colonial interne, visant à créer une "colonie modèle". Plus significativement, les leçons tirées de la crise congolaise ont directement influencé l'évolution des normes de gouvernance internationale. Le système des mandats de la Société des Nations (Article 22 de son Pacte) et le système de tutelle des Nations Unies (Chapitre XII ) en sont des descendants directs. Ces systèmes ont institutionnalisé les principes de reddition de comptes, exigeant des rapports annuels des puissances administratrices et établissant des organes de supervision, faisant directement écho aux mécanismes envisagés pour le Congo. Les critiques postcoloniales ont mis en lumière la persistance de l'empreinte coloniale. La doctrine juridique internationale du début du XXe siècle a souvent exclu ou justifié le colonialisme, principalement par une adhésion stricte au positivisme juridique qui assimilait le droit colonial au droit interne, évitant ainsi la critique politique. Cette approche formaliste a occulté les réalités de la domination. Cependant, les critiques post-décoloniales, ont fondamentalement remis en question la prétendue neutralité et universalité du droit international. Elles soutiennent que le droit international est un imprimé du XIXème, marqué par son contexte colonial. La fin formelle du colonialisme n'a pas entraîné la "décolonisation du droit", mais plutôt une reconfiguration des biais euros centriques et des dynamiques de pouvoir héritées de l'ère de Berlin. L'analyse des fonds d’archives sur la période de la conférence de Berlin (1MD/91, 1MD/92, 1MD/93, 1MD/94, 1MD/109) et ceux relatives aux correspondances entre l’Allemagne et la France (3CP/59) a démontré comment l'Acte général de Berlin de 1885, tout en prétendant réguler la compétition coloniale entre les puissances européennes, a servi d'instrument puissant pour légitimer l'entreprise impériale. L'hypothèse initiale, qui postulait que l'Acte général de Berlin a joué un rôle fondateur dans l'ancrage de logiques juridiques coloniales, qui ont persisté et influencé significativement le droit international moderne, a été vérifiée tant dans l’analyse du le contenu formel de l’acte de berlin et que celui qu’a produit la conférence de Bruxelles. L’analyse des archives et du choix méthodologie ont inévitablement rencontré certaines limites qu'il convient de reconnaître. Le focus géographique de l'étude a été délibérément centré sur le bassin du Congo, en tant que théâtre principal de l'impact de la Conférence de Berlin. Ce choix, tout en permettant une analyse, n’est pas dans une perspective globalement de l’application de l’acte de berlin dans toute l’Afrique. Ce choix ne permet pas d’appréhender le rôle jouer par d’autres puissances coloniales tel que l’Angleterre, le Portugal, etc…Il est à noter également que, le choix des archives est tributaire de ce qui était accessible en ligne. L'accès à un éventail plus large de sources primaires provenant de diverses puissances coloniales ou, idéalement, de perspectives autochtones pourrait offrir des éclairages encore plus riches sur l’application réelle et effective de l’acte parmi les signataires dans d’autres régions d’Afrique. Pour le champ temporel de l'analyse a principalement couvert la période allant de 1884 aux années 1950, avec des extensions aux critiques contemporaines. Cette période ne suffit pour retracer les héritages directs et continu de l'Acte, une portée historique plus étendue pourrait révéler d'autres évolutions ou ruptures à long terme. En termes d’ouverture, la pertinence d’un d'approfondissement de l'étude de l'empreinte coloniale sur le droit international, de manière plus approfondie d'instruments juridiques internationaux spécifiques pourraient être menées. Ceci en s'appuyant sur le concept de la "colonialité du droit international". En définitive, l’étude du sujet choisis a démontré dans une certaine mesure concluante que l'Acte de Berlin, loin d'être un instrument neutre de régulation internationale, a servi de matrice juridique pivot pour l'ordre colonial internationalisé. Ses principes et mécanismes, nés de la compétition impériale et d'une vision euro-centrique du monde, ont laissé une empreinte indélébile et complexe, dont les héritages continuent de résonner au sein des structures et des doctrines du droit international contemporain. Créé par Akande Cherif Worou 7 nov. 2025 Version 0.1
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